Les hommes ont très tôt découvert les effets psychogènes de certains végétaux. Le nom de « pavot » est mentionné sur des tablettes sumériennes datant de 3 000 à 4 000 ans avant notre ère...
Les hommes ont très tôt découvert les effets psychogènes de certains végétaux.
Le nom de « pavot » est mentionné sur des tablettes sumériennes datant de 3 000 à 4 000 ans avant notre ère ; il figure sur des papyrus égyptiens remontant à 1 500 ans avant J.-C. comme remède pour « empêcher les enfants de crier trop fort ». Les Grecs et les Romains exploitaient couramment les propriétés pharmacologiques de cette plante et en connaissaient les effets toxiques, ainsi qu’en témoignent les écrits de Théophraste (IIIe siècle avant J.-C.), de Pline et de Dioscoride (Iersiècle). Galien (IIe siècle) signale, en la personne de Marc Aurèle, un des premiers cas de toxicomanie.
L’usage des drogues n’était cependant pas l’apanage des seuls médecins, mais aussi celui des chefs religieux de l’Antiquité.
La prise collective de substances euphorisantes ou hallucinogènes participait du rituel et de la magie :
les prêtresses de l’Inde antique officiaient sous l’empire de la drogue ;
les Assyriens utilisaient le chanvre indien comme encens ;
les Incas considéraient la coca comme un don divin.
Plus près de nous, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, il est d’usage courant d’absorber au cours de cérémonies religieuses diverses substances qui, d’une manière ou d’une autre, agissent sur le psychisme.
Certaines tribus d’Amérique centrale ingèrent des feuilles séchées de peyotl, sorte de petit cactus qui renferme un hallucinogène puissant, la mescaline.
Enfin, dans plusieurs pays économiquement déshérités, des plantes comme le khat ou la coca servent de coupe-faim ou de remontant et procurent une sensation d’évasion à ceux qui les fument ou les mâchent.
En Europe, l’usage des drogues se limita longtemps à la pratique médicale (le laudanum fut introduit par Sydenham au XVIIe siècle).
La toxicomanie ne fit réellement son apparition qu’à la fin du XIXe siècle - sauf quelques cas isolés, tel celui de Thomas De Quincey. Les guerres coloniales ne furent pas étrangères à ce phénomène, mais ce fut surtout l’obtention chimique de la morphine et son emploi au cours de la guerre de 1870 qui accrurent le nombre des adeptes de la drogue. Le romantisme et son « mal du siècle » créèrent également un climat favorable à la recherche d’expériences nouvelles : aux États-Unis, la jeunesse se livrait à des aether parties aux environs de 1830 ; en France, le club des Hachischins réunissait notamment Baudelaire, Théophile Gautier, Delacroix, Daumier. Toutefois, jusqu’aux alentours de la Seconde Guerre mondiale, la toxicomanie ne s’est manifestée que par quelques flambées (l’une vers les années 1920, l’autre en 1946) assez vite endiguées, en raison des difficultés d’approvisionnement. Elle était surtout le fait d’anciens militaires qui avaient découvert la drogue dans les hôpitaux et d’intellectuels, d’artistes ou de riches oisifs en mal d’expériences.
Aux alentours des années 1960 se manifeste un phénomène nouveau ; les drogues connaissent une autre clientèle : la jeunesse. Partie des États-Unis et plus particulièrement de San Francisco, berceau de la Beat generation, cette mode atteint l’Europe vers 1967. Les jeunes fument alors du haschisch et absorbent du LSD, substances qui n’entraînent pas de dépendance grave ; mais, vers 1968, apparaissent les drogues dures : amphétamines, morphine, héroïne. En quelques années, le nombre des toxicomanes se multiplie - 25 % des Américains consommaient au moins une fois par mois une drogue illégale en 1979 - puis décroît - ils n’étaient plus que 6 % en 1988, et encore moins en 1996 en ce qui concerne le cannabis et la cocaïne.
Ce phénomène nouveau touche tous les pays industrialisés, et les adeptes de la drogue se rencontrent dans toutes les classes sociales et dans tous les milieux familiaux. Ce polymorphisme du profil des drogués implique donc que l’origine de la toxicomanie ne se situe pas au niveau des conflits psychosociologiques individuels. Les drogués ne sont pas, au départ, des psychopathes, mais des insatisfaits de la vie qui s’offre à eux avec son cortège de menaces. Le recours aux drogues, traduction d’une révolte, est le reflet d’une crise de civilisation.
L’abus de drogue est aujourd’hui une réalité planétaire qui n’épargne aucun pays ni aucune catégorie socioprofessionnelle. Ainsi, aux États-Unis, pour attirer la clientèle des classes moyennes et aisées, les trafiquants proposent une héroïne plus pure - 60 % au détail - que dans les années 1970 ; il y avait en 1996, 3,6 millions de consommateurs de drogues dures dans ce pays, qui reste le principal marché mondial de la drogue. Étant donné son caractère semi-clandestin, le processus n’est qu’en partie visible, et donc impossible à appréhender dans toute son ampleur. Seule une approche pluridisciplinaire peut apporter les fondements d’une politique de prise en charge et de prévention de la toxicomanie.